I- Le contexte pédagogique
Le premier trimestre, et la mise en place d'un projet innovant incluant les TICE dans cette classe de 4ème a permis de mettre en évidence des problèmes de déchiffrement lors d'une lecture à haute voix ou silencieuse de la part d'élèves de la classe. Parmi ces élèves, deux élèves dyslexiques.
Ces séances de remédiation ont été insérées dans le travail d'une séquence d'étude d'œuvre intégrale : Les Contes de la Bécasse de Guy de Maupassant.
L'étude de la nouvelle la Folle extraite de ce recueil a été faite en lecture analytique à partir d'un fichier son : téléchargé à partir du site litteratureaudio.com qui met à disposition des internautes gratuitement une lecture à haute voix de l'intégralité des Contes de la Bécasse.
C'est ce travail qui m'a donné l'idée de travailler la lecture à haute voix, avec les élèves, qui ne la maîtrisaient pas, en leur faisant produire des fichiers-sons. Ce travail a eu lieu dans le cadre de l'heure quinzaine de remédiation de français, mise à la disposition de la classe dans le cadre du projet innovant.
Les objectifs généraux de ces séances:
L'objectif était de faire acquérir aux élèves les capacités inscrites en lecture à haute voix dans le socle commun : lire à haute voix, de façon expressive, un texte en prose ou en vers ; dire de mémoire des textes patrimoniaux (textes littéraires, citations célèbres).
- Compétences construites:
Domaine 1-1 : comprendre et s’exprimer en utilisant la langue française à l’oral et à l’écrit
S’exprimer à l’oral : lire à voix haute, restituer un texte littéraire ; exploiter des ressources expressives et créatives de la parole,
Domaine 5 : les représentations du monde et l’activité humaine
Raisonner, imaginer, élaborer, produire : Pratiquer divers langages artistiques en lien avec la connaissance des œuvres et les processus de création
II- La mise en œuvre
Ce travail a concerné huit élèves de la classe, répartis en deux groupes, sur quatre séances, selon leurs besoins:
Le groupe 1 est composé de six élèves : l'évaluation faite lors du premier trimestre a révélé que ces élèves rencontraient des difficultés dans le déchiffrement des mots, et la lecture pour eux, à haute voix comme silencieuse est un exercice difficile pour un texte long. Ces élèves ne comprenaient pas ce qu'ils lisaient à haute voix.
Objectifs spécifiques pour ce groupe :
Améliorer la reconnaissance des mots.
Apprendre à repérer les groupes de mots et à utiliser la ponctuation.
S'entraîner à articuler et à faire les liaisons.
Apprendre à évaluer sa lecture à l'aide d'une grille d'évaluation.
Lire avec fluidité un texte connu et travaillé.
Le groupe 2 est composé de deux élèves qui aiment lire et qui sont volontaires souvent pour prendre en charge la lecture des textes en classe. Leur lecture était fluide, mais trop rapide et n'était pas expressive.
Objectifs spécifiques pour ce groupe :
Réaliser les liaisons.
Adapter son débit de voix et son rythme de lecture pour produire une intonation pertinente.
Première séance :
Premier temps en commun : on établit ensemble ce qui est une bonne lecture à haute voix, et nous avons fixé ensemble 6 critères :
Le respect des groupes de mots et de la ponctuation
La réalisation des liaisons
Une bonne articulation
La fluidité dans la lecture du texte
L'adoption d'un rythme ni trop lent, ni trop rapide
Le rendu du sens par l'intonation
Les élèves du groupe 1 devant travailler les quatre premiers critères, les élèves du groupe 2 devant porter leur attention sur l'ensemble des 6 critères.
Voici les grilles d'autoévaluation que les élèves ont eues à leur disposition à partir de la séance 2.
Grille groupe 1
Grille groupe 2
Deuxième temps : travail par groupe
Un Assistant pédagogique a travaillé avec moi sur cette séquence de remédiation et nous avons pris en charge chaque groupe à tour de rôle et les groupes ont travaillé comme suit :
A- Le groupe 1
Les séances :
Séances 1 et 2 : lecture à haute voix du texte poétique à mémoriser lors de la séquence :
Objectif : " Lire à haute voix, de façon expressive, un texte narratif ou un poème déjà connu ".
Premier texte choisi : le texte de poésie à mémoriser choisi lors de la séquence : Le Dormeur du Val, après une lecture analytique en classe préalable.
Nous avons relu et expliqué de nouveau le poème, ensemble. Les élèves, au fur et à mesure, ont reconstitué les groupes de mots. Nous avons également réfléchi ensemble au rôle de la ponctuation et à celui des liaisons (celles qu'il faut faire entendre et celles que l'on tait).
Pour l'enregistrement, j'ai fait utiliser aux élèves le logiciel gratuit Audacity qui est un logiciel de "montage" audio, très facile d'utilisation, lorsqu'il s'agit de s'enregistrer : il présente les mêmes commandes qu'un magnétophone.
Chaque élève s'est enregistré seul, installé à un ordinateur avec un casque.
Remarque : lors de cette première séance d'enregistrement, il y a eu quelques résistances qui se sont manifestées pour une élève par des rires, au moment de s'enregistrer. Trois élèves ont eu tendance à vouloir arrêter l'enregistrement, et à le supprimer pour recommencer, à la moindre erreur, au moindre bafouillage, comme s'il fallait que ce soit " parfait " du premier coup. Il a fallu bien leur expliquer, et plusieurs fois qu'il n'était pas nécessaire d'effacer, qu'ils pouvaient continuer l'enregistrement et se reprendre quelques secondes après, et que les erreurs n'étaient pas " graves ", que c'était elles qui étaient intéressantes et que c'est à partir d'elles que nous allions pouvoir travailler.
Ensuite, chaque élève a écouté son enregistrement sa première lecture et tenté de s'auto évaluer en utilisant la grille de critères mise au point en début de séance. L'avantage du travail avec le logiciel et le casque, c'est qu'il offre la possibilité à l'élève de s'écouter avec le casque et de ne pas être entendu des autres.
Certains élèves ont eu des difficultés à auto évaluer leur prestation, lors de leur premier enregistrement (deuxième moitié de la première séance) : au-delà du " ça ne va pas ", ils ont eu des difficultés à mettre des mots précis sur ce qui n'allait pas, leur attention allant jusqu'à se focaliser, pour certains, sur les bruits de fonds enregistrés, davantage que sur leur lecture.
Pour ces élèves précis, je me suis installée avec eux au seul poste équipé d'enceintes. Il est légèrement excentré, ce qui a permis d'écouter le fichier, sans être entendu des autres, et sans gêner leur propre écoute, encadrée par l'assistant pédagogique : nous avons écouté l'enregistrement. C'est dans cette écoute commune que lui et moi avons fait l'évaluation formative de sa production, en focalisant l'attention de l'élève sur les critères énoncés en début de séance.
Remarque : au moment du travail d'écoute avec l'élève, il était important de valoriser la reprise faite par les élèves, et leur montrer qu'ils étaient capables de se reprendre, de détecter leurs erreurs et de proposer une correction.
Au terme de la séance, j'ai enregistré les fichiers produits par les élèves sur ma clé USB et je les ai écoutés chez moi, où j'ai pu faire mes observations en remplissant ma propre grille d'évaluation pour chaque élève et préparer la séance suivante.
Lors de la séance 2 : les élèves ont retravaillé la lecture de leur texte, se sont enregistrés plusieurs fois, en corrigeant au fur et à mesure leurs défauts de lecture à l'aide de la grille établie en séance 1.
Pour la séance 3 : j'ai demandé aux élèves de mémoriser le texte, la répétition du texte lors des deux premières séances facilitant cette mémorisation.
Séance 3 : évaluation de la récitation du texte mémorisé.
Séance 4 : travail sur un texte en prose : les élèves ont eu à préparer seuls la lecture à haute voix d'un cours extrait de " la Rempailleuse ", nouvelle du recueil des Contes de la Bécasse.
Extrait choisi : " Toute petite, elle errait, haillonneuse, vermineuse, sordide. On s'arrêtait à l'entrée des villages, le long des fossés ; on dételait la voiture ; le cheval broutait ; le chien dormait, le museau sur ses pattes ; et la petite se roulait dans l'herbe pendant que le père et la mère rafistolaient, à l'ombre des ormes du chemin, tous les vieux sièges de la commune. On ne parlait guère dans cette demeure ambulante. Après les quelques mots nécessaires pour décider qui ferait le tour des maisons en poussant le cri bien connu : "Remmmpailleur de chaises !", on se mettait à tortiller la paille, face à face ou côte à côte. "
Ce passage offre le double avantage de ne comporter que quelques mots de vocabulaire peu commun, et de proposer de nombreuses respirations.
Observations :
Au début de la séquence de remédiation, j'ai crains d'avoir placé ce commencement de travail sur l'oral un peu tard dans l'année. Avec le recul, et l'observation des résistances des élèves du groupe lors de la première séance, je trouve maintenant que l'activité est venue au bon moment. La programmation de ce travail sur l'oral en janvier - février a finalement permis à ces élèves de dépasser cette réticence du début parce que, pour les élèves, cette activité s'est inscrite dans la continuité d'autres activités utilisant les TICE, à un moment où une confiance suffisante s'était installée entre les élèves et moi, et au sein du groupe d'élèves, qui avaient appris à travailler de façon différenciée.
B - Avec le groupe 2
En parallèle, le travail suivant a été mené avec deux élèves. Leur présence lors des séances a permis de leur faire travailler le débit et l'expressivité dans leur lecture. Pour se faire, j'ai choisi pour l'une la lecture et l'enregistrement de la nouvelle : " Les Sabots " dans son intégralité et pour la seconde " Saint Antoine ", les deux nouvelles présentant des passages de dialogues reproduisant le patois normand du pays de Caux, qui allait permettre un travail sur l'articulation et sur l'expressivité.
Séance 1 :
Les deux élèves ont eu à lire la nouvelle pour la séance n°1.
L'assistant pédagogique est intervenu, dans un premier temps, pour s'assurer que les deux élèves avaient bien compris dans le détail le texte qu'elles avaient lu et pour les aider à dégager les principales étapes des nouvelles. Il les a également aidés à déterminer ce que nous dévoilent des personnages les paroles rapportées et sur quel ton, avec quel volume sonore il faudrait les prononcer.
Ensuite, je leur ai demandé, en appliquant tout ce que nous avons vu concernant l'organisation et le rythme du récit, de me proposer un séquençage du texte, de le diviser en plusieurs parties formant une unité, et de leur donner un titre.
L'objectif était pour chaque élève, de travailler la lecture expressive de la nouvelle, séquence par séquence, et de proposer la mise en ligne, sur le site du collège, d'une lecture en feuilleton des nouvelles concernées.
Séances 2, 3 et 4 :
Les élèves ont enregistré les nouvelles, séquence par séquence. Munies de la grille, et avec le conseil de l'assistant pédagogique ou de moi-même pendant les séances, elles ont pu écouter leur production, les évaluer et recommencer les passages qui n'étaient pas réussis.
L'avantage du logiciel Audacity et qu'il n'est pas qu'un logiciel d'enregistrement. C'est également un logiciel de montage audio, ce qui permettait aux élèves, lorsqu'ils bafouillaient, de laisser un silence d'une seconde, d'enregistrer de nouveau la phrase, que l'on pouvait couper ensuite, au montage.
C - Prolongement:
Ce travail se poursuit aujourd'hui avec tous les élèves de la classe : chaque élève prend en charge un texte travaillé en classe, et l'enregistre pendant les heures de remédiation en salle informatique. Sept élèves de la classe ont téléchargé le logiciel et s'enregistrent chez eux, Ils m'apportent ensuite leur production sur clé USB.
Les enregistrements sont évalués à l'aide de la grille, montés quand il y a lieu, et édités sur un site que nous avons mis en place, la documentaliste et moi-même : une Petite Anthologie Sonore. Nous sommes en train d'établir un calendrier de productions orales, pour nourrir l'Anthologie Sonore.
III- Pourquoi utiliser le numérique ?
Pour l'enseignant, l'utilisation du logiciel Audacity permet de faire la part, dans une lecture hésitante, entre ce qui est de l'ordre de la timidité et ce qui relève réellement de difficultés de lecture.
Pour l'élève, c'est un outil rassurant. Il est difficile, en effet, pour certains élèves de lire à haute voix, et même dans un groupe restreint d'élèves qui rencontrent les mêmes difficultés de lecture, il n'est pas facile pour eux de prendre la parole. Le travail avec le logiciel permet donc à l'élève de travailler sans avoir peur du jugement des autres, et de recommencer autant de fois que nécessaire, jusqu'à atteindre l'objectif visé.
La plus-value ici des TIC, c'est de permettre un travail individualisé de l'oral avec un petit groupe d'élèves.
De plus, on travaille en même temps sur la lecture et sur la construction du sens.
Anne BUREL
Collège Irène Joliot Curie, Mehun sur Yèvre