La parution en mars 2013 de la version en format de poche des Heures silencieuses de Gaëlle Josse (éditions J’AI LU n°9857) donne l’occasion à la classe de 2de6 du lycée Charles Péguy d’Orléans d’étudier une œuvre romanesque contemporaine de qualité, sans que cette lecture soit encombrée par des commentaires plus ou moins pertinents publiés sur internet.
I- Objectifs pédagogiques
Il s’agit, grâce à un travail collaboratif autour de cette œuvre, de permettre aux élèves de rendre compte le plus précisément possible de leur lecture de l’œuvre.
Le projet, utilisant les outils TICE, facilite dans une première phase la découverte de la richesse du livre, à la fois individuellement et collectivement. Puis, dans un deuxième temps, il donne la possibilité de revenir à cette étude pour en mémoriser les aspects essentiels dans l’optique d’une évaluation ultérieure mais aussi dans celle, à plus long terme, de la constitution d’une culture littéraire. Conformément à la réflexion menée lors d’une récente émission Des souris et des Lettres abordant le thème « Qu’est-ce qu’apprendre en français ? », l’effort se porte donc non seulement sur une appropriation de l’œuvre mais aussi sur une réappropriation visant consolider les acquis de chaque élève.
Dans cette perspective, le numérique semble particulièrement adapté et fournit l’occasion aux élèves de lire, écrire, s’informer et se cultiver à l’heure du numérique. D’une part, en multipliant les approches, les outils multimédia soulignent la richesse d’un roman contemporain qui aborde différents domaines artistiques et culturels. D’autre part, le logiciel libre Didapage, en permettant la réalisation d’un « livre sur le livre », rassemble les différents travaux, accessibles sous une forme synthétique à chaque élève de la classe.
II- Contexte pédagogique
Dans le cadre de l’objet d’étude en classe de 2de consacré au roman réaliste, la lecture du roman Les Heures silencieuses offre l’opportunité de « situer le genre dans une histoire plus longue ». En effet, l’œuvre de Gaëlle Josse, appartenant à la littérature du XXIe siècle, est centrée sur un personnage féminin très attachant, dans une perspective à la fois historique et très contemporaine.
Avant d’entrer dans la mise en œuvre concrète du projet, il convient de présenter brièvement l’outil TICE principalement utilisé lors de ce travail. Didapage est un logiciel libre qui permet de créer des documents électroniques prenant la forme d’un livre dont on tourne les pages, ce qui séduit tout particulièrement un professeur de français… Il est généralement utilisé par les formateurs pour concevoir des outils multimédias destinés à un apprentissage interactif et individualisé. Différents accessoires, permettant de manipuler du texte, des sons et des images, sont attachés à Didapage (cf. figure ci-dessous).
Dans le cadre de ce projet, les élèves réalisent par binômes leurs recherches et leurs analyses en choisissant les supports numériques les mieux adaptés pour en rendre compte (textes, images fixes ou en mouvement, sons...). Puis, en séances d’Accompagnement Personnalisé, ils améliorent leurs productions en suivant les conseils de leur professeur. Enfin, en respectant une sorte de charte de présentation, ils reversent leur travail - via l’ENT de leur établissement par exemple - dans un livre électronique commun qui constitue la somme de toutes les études menées à partir du roman de Gaëlle Josse.
Redistribué à chaque élève, ce livre électronique devient non seulement la mémoire numérique du travail accompli par le groupe classe mais aussi, pour chacun, un support multimédia facilitant l’appropriation des connaissances. Le produit fini doit stimuler l’intérêt et solliciter des formes de mémoire propres à chaque individu. L’intérêt des TICE comme outils de mémorisation a été très clairement exposé par Philippe Godiveau dans sa rubrique de l’émission n°14 des Souris et des Lettres intitulée : « Ils n’apprennent plus comme avant : TICE et mémoires ».
III- Mise en oeuvre
Le compte-rendu de séances significatives du projet doit permettre de mieux comprendre comment celui-ci peut se dérouler concrètement. L’organisation générale correspond aux activités énumérées par le thème annuel des TRAAM : lire, écrire, s'informer, se cultiver à l'heure du numérique.
LIRE
La lecture des premières pages du roman se fait en classe, à haute voix : les meilleurs « lecteurs » parmi les élèves sont ainsi chargés de donner le goût de lire aux autres. A la fin de chaque chapitre, une réflexion en commun s’instaure, permettant de découvrir les centres d’intérêt principaux qui se dégagent peu à peu grâce à cette lecture d’introduction. Alors, le professeur propose à ses élèves une série de travaux par binômes, favorisant une exploration en profondeur des aspects du livre ainsi repérés.
Cette mise en activité est assortie des consignes suivantes :
- approfondir l’aspect du roman étudié dans le livre lui-même, mais aussi à travers une recherche documentaire externe si nécessaire.
- sélectionner si possible quelques citations particulièrement significatives dans le roman.
- choisir et utiliser les outils numériques les mieux adaptés pour rendre compte de l’aspect du roman étudié.
On peut citer plusieurs sujets d’étude apparus dès la lecture en classe des toutes premières pages : le journal intime comme révélateur des faits et des sentiments, le tableau d’Emmanuel De Witte Intérieur avec une femme jouant de l’épinette comme point de départ de l’écriture de l’œuvre, le contexte du roman historique situé à Delft au XVIIème siècle, les relations de la narratrice avec les autres personnages de son récit, etc.
A la suite de cette heure de lecture collective, chaque élève de la classe peut alors se lancer dans la lecture individuelle de l’ensemble de l’œuvre, dans un délai d’une quinzaine de jours. Ceux à qui n’a pas encore été attribué de sujet contactent leur professeur au cours de cette lecture pour lui en proposer un, de façon autonome. L’enseignant accepte d’emblée plusieurs de ces propositions mais parfois il s’emploie à infléchir certaines d’entre elles en fonction de leur pertinence ou des objectifs pédagogiques qu’il poursuit. Il s’efforce d’assortir au mieux les membres des binômes.
Certains thèmes abordés sont spécifiquement littéraires car ils correspondent à la matière romanesque de l’œuvre. Plusieurs binômes s’intéressent tout particulièrement aux modalités de la narration ou aux différents personnages du récit. On peut observer ci-dessous l’exemple d’une double page réalisée par un binôme de la classe. Ce dernier respecte le code de couleur (caractères en rouge) adopté tout au long du livre électronique pour valoriser les citations.
ECRIRE
Pour chacun des sujets traités, le travail d’écriture est déterminant car il est le vecteur de communication essentiel permettant à tous les binômes de rendre compte de leurs impressions de lecture comme de leurs recherches documentaires. La maîtrise d’un traitement de texte est normalement acquise par les élèves de 2de ; cependant l’expérience montre que la réalisation d’un tel document implique le renforcement de certaines compétences techniques dans le maniement des outils fournis par un tel logiciel. Le cadre pédagogique de l’Accompagnement Personnalisé paraît particulièrement adapté pour effectuer une telle remédiation.
Le travail d’écriture le plus conséquent mené par un des binômes porte sur le résumé chapitre par chapitre du livre, assorti d’un choix d’illustrations pertinent. On peut en trouver la reproduction ci-dessous.
D’autres travaux de rédaction peuvent être menés autour du livre de Gaëlle Josse. Par exemple, dans la perspective des épreuves écrites de l’EAF, on peut initier la classe de 2de à certains exercices d’écriture propres à l’examen. Ainsi, en séance d’Accompagnement Personnalisé, un sujet d’écriture d’invention est proposé. Ci-dessous sont reproduits dans le livre numérique l’énoncé ainsi qu’un texte composé par un binôme d’élèves.
On peut également, dans l’optique d’une initiation à l’écrit du baccalauréat, consacrer une page du livre numérique à un exercice permettant de rédiger un fragment de commentaire. Cette fois, le travail collectif est engagé en classe entière. Il utilise l’outil « Zone de saisie » fourni par Didapage qui permet aux élèves d’améliorer et d’enrichir, tant dans sa forme que son contenu, la proposition d’analyse élaborée par l’un d’entre eux, laquelle est projetée sur le TBI. La double page donne à voir simultanément le texte littéraire et son interprétation, ce qui stimule la réflexion collective ainsi que la dynamique des hypothèses de lecture.
Ci-dessous, on observe le travail consacré au portrait d’un personnage féminin du roman.
S’INFORMER
De nombreux travaux réalisés autour du roman de Gaëlle Josse sont consacrés à une recherche documentaire permettant de mieux comprendre le contexte historique et géographique, artistique voire économique de l’œuvre. Dans le cadre de l’objet d’étude de la classe de 2de consacré au genre romanesque, l’ambition de plusieurs binômes est clairement de repérer les sources d’un roman ancré dans un certain réalisme culturel.
Dès la lecture du premier chapitre, le contexte spatio-temporel de l’œuvre suscite l’attention, comme le montre la double page ci-dessous. Cet exemple est particulièrement significatif des potentialités de l’outil TICE mis à la disposition des élèves, puisque celui-ci a l’avantage d’associer le texte rédigé par les élèves à la reproduction d’un document historique ainsi qu’à l’extrait d’un film documentaire intégré en vidéo au livre numérique.
Pour une meilleure lecture ultérieure de ces documents par chaque élève, il est même possible d’ajuster une fonction de zoom, selon les exemples ci-dessous.
Dans cette rubrique centrée sur le travail d’information mené lors du projet, il convient de citer le cas de quelques élèves de la classe qui ont eu la chance de rencontrer l’auteure lors d’une conférence donnée dans un autre lycée d’Orléans. La réalisation d’un enregistrement audio diffusé au reste de la classe par l’intermédiaire du livre électronique permet à chacun de découvrir la vie et la personnalité de Gaëlle Josse, de mieux comprendre le métier d’écrivain et le processus de création littéraire tout en mesurant l’écart parfois important qui existe entre les intentions de l’artiste et les interprétations de son œuvre par ses lecteurs. La double page ci-dessous, composée à la suite de cette rencontre, utilise cette fois un outil permettant à chaque élève d’écouter l’enregistrement recueilli lors de cette rencontre exceptionnelle.
SE CULTIVER
Si l’ensemble de l’étude des Heures silencieuses relève d’un objectif culturel, pour certains travaux cette dimension est primordiale. Il suffit pour s’en convaincre de lire le titre de plusieurs sujets abordés. Quelques binômes se montrent concernés par une culture plus spécifiquement littéraire comme dans l’étude menée sur les journaux intimes, reproduite ci-dessous.
D’autres travaux abordent le domaine pictural comme plusieurs analyses d’œuvres de Vermeer citées par la narratrice du roman. Mais c’est surtout l’étude menée à propos du tableau d’Emmanuel de Witte qu’il convient de présenter ici car cette œuvre apparaît comme la référence centrale de l’ensemble du roman. La synthèse réalisée évoque, dans une notice biographique rigoureusement composée, la vie et l’œuvre si particulières d’un artiste relativement peu connu. Elle présente également, dans la page de droite, l’analyse du tableau menée selon une méthode enseignée lors des séances d’HIDA.
Si la peinture est fondamentale dans ce roman, la musique constitue également une sorte de passion chez plusieurs personnages importants. C’est le cas de la narratrice qui souhaite être représentée par le peintre jouant au clavier de son épinette. L’élève qui propose ses recherches sur cet instrument rare et ancien ne se contente pas de collecter des informations, elle retravaille numériquement une image en sélectionnant dans le tableau d’Emmanuel de Witte la partie correspondant à son étude et offre même à ses camarades l’enregistrement d’une œuvre interprétée sur une épinette.
Tous ces travaux menés autour du roman de Gaëlle Josse Les Heures silencieuses invitent les élèves à s’engager dans une étude plurielle de l’œuvre. Ils permettent de maîtriser peu à peu des pratiques de lecture, d’écriture et de documentation qui ont un impact culturel positif non seulement pour chacun mais aussi pour l’ensemble du groupe classe. Ces approches collaboratives ont évidemment pour objectifs de renforcer la curiosité et de stimuler l’implication dans un projet valorisant des compétences transversales.
IV- Compétences mises en oeuvre
- La maîtrise de la langue française : les divers travaux doivent permettre aux élèves de renforcer leurs aptitudes pour mieux lire et comprendre non seulement l’œuvre littéraire mais aussi les textes documentaires au cours de leurs recherches. Cela doit les conduire à mieux s’exprimer à l’écrit pour valoriser le fruit de leurs travaux, et à l’oral pour donner aux autres le goût de la lecture.
- La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication est nécessaire pour présenter de façon la plus efficace et la plus attractive les travaux menés. Chaque binôme doit toujours avoir pour but de choisir les outils les mieux adaptés à son propos et les plus aptes à faciliter la communication des savoirs rassemblés.
- Une culture humaniste est valorisée par un tel projet qui s’emploie à démontrer que sa dimension littéraire n’exclut pas, bien au contraire, d’autres formes de connaissances : géographiques, historiques, économiques, etc. Ce projet est également culturel au sens où il vise à stimuler le goût pour l’art, en particulier dans les domaines de la peinture et de la musique.
- Enfin, l'autonomie et l’initiative sont au centre même d’un projet collaboratif dans lequel chacun des élèves est en permanence poussé à travailler dans son propre intérêt mais aussi pour le bénéfice de toute la classe.
V- Limites et contraintes du projet
Les TICE fournissent des outils variés et efficaces au service d’une pédagogie active et d’une restitution valorisante des travaux. Néanmoins, l’enseignant est trop souvent confronté à des difficultés techniques liées à des problèmes de compatibilité des logiciels ou de maintenance du parc informatique mis à sa disposition. Pour mener tel un projet, il lui faut toujours prévoir des solutions alternatives permettant de mener ou de prolonger une activité sans trop perdre de temps et sans décevoir l’attente de sa classe, ce qui n’est pas toujours facile. De plus, les élèves arrivent en 2de avec des compétences très hétérogènes dans le domaine informatique : il est donc utile d’employer l’Accompagnement Personnalisé pour combler certaines lacunes sans faire perdre de temps à ceux qui maîtrisent correctement l’outil. Au cours de ces séances, il convient également d’inciter les élèves à une pratique raisonnée de la récolte des informations sur internet afin d’éviter, autant que faire se peut, le simple « copier-coller».
Au cours du projet lui-même, certaines difficultés peuvent apparaître. Ainsi, le travail en binômes n’est pas toujours facile pour certains élèves et peut déboucher sur des relations assez conflictuelles… On remarque aussi que certains groupes ont des soucis pour gérer le temps : celui-ci est parfois gaspillé lors des séances d’AP, et il devient très difficile à respecter lorsqu’une date est fixée pour la remise de travaux que certains ne perçoivent pas comme « scolaires ». Le professeur de français doit alors rappeler que même si l’exercice demandé prend une forme inhabituelle, il doit être réalisé avec le même sérieux que des devoirs plus conventionnels. Cela est d’autant plus important que l’ensemble des aptitudes sollicitées contribue, dès la classe de 2de, à une initiation aux TPE.
Serge BOUHNIK
Lycée Charles Péguy, Orléans